Synthèse de l’apéro avec Cécilia Tejedor et Florence Girault
Cécilia Tejedor (POMA) et Florence Girault (ex-CEREMA)
Le transport par câble urbain : une solution de mobilité complémentaire
Lors de l’apéro lyonnais organisé le 29 janvier dernier, chez Tuba, deux expertes du transport par câble urbain ont partagé leur vision et leur expertise : Cécilia Tejedor, Directrice générale de POMA, et Florence Girault, Cheffe de projet Offre de transport Sytral Mobilités et ancienne directrice de projets au sein du CEREMA, qui a partagé son expertise au titre de son expérience au CEREMA. Cette rencontre a permis de mettre en lumière les enjeux et les opportunités de ce mode de transport en milieu urbain.
POMA : un leader français à l'international
POMA, entreprise iséroise fondée en 1936, s'est imposée comme l'un des deux leaders mondiaux du transport par câble. « L’entreprise s’est rapidement internationalisée pour rester à la pointe du progrès technique et lisser la charge des usines de production » explique Cécilia. Avec un chiffre d'affaires de 500 millions d'euros en 2023 et 1500 collaborateurs, dont 900 en France, l'entreprise conçoit, réalise, entretient et parfois même exploite des systèmes de transport par câble. Si le secteur de la neige représente encore une part importante de son activité (65% du CA), POMA se diversifie de plus en plus vers l'urbain, le tourisme et les services.
Différents systèmes de transports par câble pour répondre aux besoins des territoires
Le transport par câble urbain se décline en trois systèmes principaux :
• Le téléphérique traditionnel, avec deux grandes cabines pouvant accueillir jusqu'à 60 personnes, comme à Brest où il transporte 3000 personnes par jour
• La télécabine monocâble, système continu de cabines de 10-12 personnes circulant toutes les 30 secondes comme à la Réunion
• Le système multicâbles, retenu à Toulouse, permettant le transport de 34 personnes toutes les 90 secondes, capable d'atteindre 6000 passagers par jour
Des projets emblématiques en France et à l'international
La ville colombienne de Medellin fait figure de pionnière avec son réseau de six lignes de "métrocâbles" interconnectées avec le métro traditionnel. Lancé en 2004, ce projet POMA a démontré la pertinence du transport par câble pour désenclaver les quartiers difficiles d'accès, tout en offrant une solution à faible emprise au sol.
• Les expériences françaises
Brest (2016) : premier téléphérique urbain de France, il traverse la Penfeld et relie en 400 mètres le centre-ville du quartier des Capucins, pour un coût de 20 millions d'euros. Les retours d'expérience ont permis d'améliorer plusieurs aspects : l'insertion urbaine des stations, la réduction des nuisances sonores en changeant de câbles ou encore la gestion de la co-visibilité avec les habitations grâce à des vitres qui s’opacifient au démarrage pour éviter les regards intrusifs.
Toulouse (2022) : Avec ses 2,7 km de ligne et ses cinq pylônes, le téléphérique toulousain transporte 6000 personnes par jour. Coût du projet : 80 millions d'euros. L'installation se distingue par sa stabilité grâce à son système à trois câbles (le vent peut souffler fort à Toulouse) et son intégration réussie au réseau de transport existant.
La Réunion (2022) : Ce projet, surnommé « Papang », démontre la pertinence du transport par câble pour surmonter les dénivelés importants et desservir des zones enclavées, inaccessibles en bus. Le Cerema réalise une étude d’évaluation de cette ligne pour le compte de la CINOR.
Une démarche environnementale ambitieuse
Initiée dès 2009-2010 à la suite du projet de Medellin, la démarche RSE de POMA s'aligne sur les objectifs de développement durable de l'ONU. L'entreprise a réalisé des études approfondies de son empreinte carbone en 2019 et 2023, révélant que ses émissions directes ne représentent que 2% de son impact total. POMA travaille activement sur l'ensemble de sa chaîne de valeur, de ses fournisseurs jusqu'au recyclage en fin de vie des installations. L'utilisation de moteurs lents électriques et la minimisation du déboisement lors des installations témoignent de cet engagement environnemental.
Avantages et enjeux du transport par câble
Atouts environnementaux et pratiques
• Faible empreinte carbone (15 fois moins qu'une voiture)
• Rapidité d'exécution des projets (18-24 mois contre plusieurs années pour un tramway)
• Réversibilité des installations
• Niveau de sécurité comparable au TGV
Un projet de transport par câble doit relever plusieurs défis : l’acceptabilité par les riverains, l’intégration paysagère dans le territoire, l’intermodalité avec les autres transports collectifs, d’autant que les lignes de transport par câble sont souvent courtes, et enfin, une maintenance adaptée aux contraintes urbaines (généralement entre minuit et 5 heures du matin).
L'accessibilité : une préoccupation importante
Le Cerema a co-piloté avec la délégation ministérielle à l’accessibilité un rapport complet intitulé "Pour une accessibilité universelle du transport par câble aérien en milieu urbain", qui établit le cadre légal et des recommandations pour les porteurs de projet. « Cette étude, fruit d'une collaboration entre constructeurs, usagers et experts, aborde les multiples aspects de l'accessibilité, sachant que la mobilité réduite concerne 30% de la population » rappelle Florence Girault.
Les solutions développées comprennent des dispositifs pour les personnes avec handicap visuel ou cognitif, des signaux sonores adaptés, l'accessibilité des stations et de leurs accès par ascenseurs ou encore des systèmes de ralentissement ou d'arrêt ponctuel des cabines selon les besoins.
Les enjeux politiques et territoriaux
Selon Cécilia, Lyon présente un réel potentiel pour le transport par câble pour répondre à des besoins de franchissement d’obstacles naturels (Rhône, Saône) ou urbain. Le secteur de la Croix-Rousse pourrait s’y prêter puisqu’il est géographiquement proche de Vaise et de ses infrastructures de transports, mais séparé par la Saône et les pentes. Bien qu'un premier projet ait été abandonné en raison d'un tracé contesté dans l’ouest lyonnais, la pertinence de ce mode de transport mérite d'être étudiée, particulièrement sous l'angle environnemental et de la complémentarité avec le réseau existant » estime-t-elle.
Le projet grenoblois illustre les défis politiques auxquels peut faire face le transport par câble. Malgré l'obtention du marché par POMA en 2020, le projet reste en suspens du fait de remises en question politiques. Cette situation est particulièrement symbolique pour l'entreprise iséroise dans sa région d'origine, d'autant plus que le projet présenterait une réelle complémentarité avec les autres modes de transport existants, pour améliorer la desserte de la presqu’ile scientifique de Grenoble.
Perspectives
Le transport par câble urbain cherche à s'affirmer comme une solution de mobilité complémentaire des réseaux existants. « Malheureusement, nous sommes encore trop considérés comme la cerise sur le gâteau, mais sans la cerise, le gâteau est moins bon !" estime Cécilia Tejedor. L'enjeu est donc de faire reconnaître ce mode de transport non plus comme une simple attraction touristique ou un « gadget technologique », mais comme une réponse pertinente aux défis d’une mobilité urbaine durable. « L’ouverture d’une télécabine à Créteil est une bonne chose, estime-t-elle, cela va être une vitrine pour le transport par câble ». De son côté, POMA continue à se développer à l’international : Madagascar, Républicaine dominicaine…