Opération Vélodacieuse à Paris #3

Nouvelle semaine pré-électorale, nouvelle opération #vélodacieuse de Femmes en Mouvement. Pour ce troisième épisode, c’était au tour des Verts de nous accompagner sur le terrain. Jamais 2 sans 3, en voici le compte-rendu détaillé d’Albane Godard… N’hésitez pas à vous emparer de la démarche ou des idées pour faire la même chose avec vos candidat.e.s ou vos élu.e.s !

Previously on Opération Vélodacieuse

Petit rappel pour ceux qui n’auraient pas suivi les épisodes précédents.

Qu’est-ce que c’est une opération Vélodacieuse ? 

Le principe est d’amener un.e candidat.e (ou un.e de ses représentant.e.s) aux élections municipales de sa ville faire un trajet classique à vélo, de type domicile – travail, aux heures de pointe, c’est-à-dire en conditions réelles, vraiment réelles. Cela permet de montrer ce qui marche bien et moins bien, les aménagements qu’on apprécie, ceux qu’on ne comprend pas et surtout d’expliquer nos ressentis, ceux de femmes, plus ou moins jeunes, à vélo, dans l’espace public. Parce qu’une pratique de mobilité qui n’est pas agréable, qui n’est pas faite dans la sérénité et qui n’est pas inclusive n’a pas beaucoup de chances d’essaimer. Et parce qu’il n’y a pas plus parlant que le terrain pour évaluer et projeter une politique publique.

Que s’est-il passé dans les épisodes précédents ?

Nous avons mené une première opération à Paris le 24 février avec Christophe Najdovski, représentant Anne Hidalgo.

Pour le deuxième épisode parisien, nous sommes parties avec trois candidat.e.s de l’équipe de Cédric Villani : Olivia Andrez, Thierry Keller et David Stut.

L’opération Vélodacieuse du 9 mars 2020

Cette fois-ci, c’est Raphaëlle Rémy-Leleu, candidate EELV à la Mairie de Paris Centre qui se prête au jeu. L’opération du jour est un peu particulière par rapport au deux opérations parisiennes précédentes car nous ne sommes que deux et Raphaëlle Rémy-Leleu a une certaine appréhension de la pratique cycliste à Paris, après avoir vécu plusieurs années à Amsterdam où (je cite) « l’effet de masse des vélos permet vraiment de se sentir en sécurité». Nous avons donc décidé, au sein de Femmes en Mouvement, d’adapter un peu notre mode opératoire habituel : l’opération a eu lieu en plein jour et au début de l’heure de pointe (et non à la tombée de la nuit), sur un trajet contenant plus de voies sécurisées et dans un échange plus tourné vers l’écoute des appréhensions et des perceptions de cette candidate.

Voici les caractéristiques principales du parcours :

  • Un trajet d’environ 6 km,

  • Effectué entre 17h15 et 18h15,

  • Dans les 4e et 3e arrondissements,

  • Sur des grands axes à fort trafic, certains avec de bons aménagements cyclables, d’autres sans,

  • Mélangés à des petites rues étroites,

  • Passant par des grandes places, nœuds de transit pour tous les types de mobilité (République et Bastille),

  • Contenant de nombreuses coupures ou transitions inadéquates pour les cyclistes.

Ce que nous retenons de cette opération Vélodacieuse

1. « Motors first! » : les usagers jugés prioritaires dans leur droit à « utiliser » Paris sont les automobilistes et les 2RM. Cela se voit à la place qui leur est dévolue : près de 50% de l’espace public leur est en effet affecté (route + stationnement) alors que seulement 13% des déplacements parisiens sont réalisés en véhicules motorisés privés (cf. article des décodeurs mis à jour fin 2018 ou l’atlas de l’espace public parisien de l’APUR). Cela se voit et se vit également par le cadencement des feux. Avoir des longs feux verts pour les motorisés ou des doubles feux piétons non synchronisés montre que l’on préfère rendre la vie plus facile aux motorisés qu’aux mobilités douces ; pour les doubles feux cela se fait au détriment de la sécurité des piétons ou des cyclistes, contraints d’attendre sur une mince bande entre deux flux motorisés. Nous avons pu voir de nombreux exemples de cette aberration au regard du code de la route pour lequel, rappelons-le, le piéton est toujours prioritaire (cf. photo à Bastille). Ce paradoxe semble ne pas gêner grand monde, y compris chez les piétons, probablement parce que nous l’avons intégré comme une obligation, une conséquence normale de notre mode de vie moderne alors que c’est un choix politique.

2. David contre Goliath : nous sommes revenues sur la nécessité de continuer à aménager les grands axes mais aussi sur la nécessité de s’imposer sur la route en tant que cycliste individuel face à un flux motorisé qui fait peur (notamment pour tourner à gauche). L’échange avec Raphaëlle Rémy-Leleu a été très instructif et assez significatif d’une pratique qui peut être genrée : elle préfère dans son cas descendre du vélo et trouver un moyen de traverser à pied, ce qui rend sa pratique peu fluide et désagréable.

3. L’effet de masse : voici la première réponse que m’a faite Raphaëlle Rémy-Leleu lorsque je lui ai demandé ce qu’elle trouvait plus sécurisant dans la pratique du vélo à Amsterdam. J’ai déjà parlé des bienfaits d’être nombreux à avoir la même pratique dans les deux articles Vélodacieuse précédents. Lors de cet itinéraire, nous l’avons à nouveau expérimenté, mais par son contraire : nous n’étions que deux sur certaines portions et les comportements des automobilistes étaient plus agressifs que lors des opérations précédentes. Cette agressivité a pris plusieurs formes : ne pas laisser passer malgré la priorité, faire vrombir le moteur ou coller le cycliste quand on ne peut pas le dépasser, klaxonner sans raison (juste pour affirmer son droit auto-proclamé d’avoir accès à l’asphalte plus que l’autre) ou encore par une belle injure (j’ai eu droit à mon premier « salope » pendant une opération Vélodacieuse). Cela serait anecdotique si ce constat n’était pas régulièrement vérifié pendant mes trajets du quotidien. Ce type de comportement, en plus d’être dangereux, peut rapidement provoquer soit la peur de la pratique soit la lassitude (parce que parfois, on n’a pas envie ou pas le courage de se faire insulter ou pressuriser) et amener à l’arrêt de la pratique pour quelques jours, une semaine, un mois, toujours.

4. Le petit Poucet : l’autre frein majeur identifié par Raphaëlle Rémy-Leleu dans son inconfort était la difficulté de se repérer dans Paris à vélo. Elle explique cette difficulté par la géographie alambiquée de la ville (sur laquelle nous ne pouvons pas faire grand-chose) et l’absence de signalétique spécifique (alors que là…). C’est particulièrement vrai quand on ne fait pas toujours le même trajet, par exemple en période de campagne électorale 😉 A quand des panneaux ou des marquages au sol, indiquant les meilleurs itinéraires (et pourquoi pas les temps de trajet et les itinéraires calmes ou rapides) ? Quelques bonnes pratiques et méthodes sont visibles ici et ici (en anglais)

5. Le bonus « information voyageurs » : Crue de la Seine oblige, les quais étaient fermés car en partie inondés. Les quais sont un lieu sécurisé massivement emprunté par les vélotaffeurs parisiens qui sont nombreux à les avoir intégrés à leur trajet du quotidien. Une information officielle en temps réelle de leur fermeture ou de leur réouverture serait un vrai plus, comme sur le périphérique lorsqu’un tronçon est fermé. Cette information pourrait, par exemple, être intégrée aux applis d’itinéraire (Geovélo vous donne déjà l’heure la plus adéquate pour partir en fonction de la météo) ou sur un bot Twitter (comme celui du compteur de Rivoli).

Un grand merci à Raphaëlle Rémy-Leleu d’avoir « vélodacieusé » avec nous et d’avoir partagé sa perception et son vécu de la pratique du vélo. Un grand merci à mes comparses Marie-Xavière Wauquiez, Lucile Ramackers et Marion Apaire pour le travail commun sur le parcours.

#GirlsOnWheels

Et si vous voulez aller plus loin…

… Voici la visite point par point avec les commentaires « comme si vous y étiez » (à relier à la carte ci-dessus) :

1. De la Tour Saint Jacques au Pavillon de l’Arsenal

Départ royal par la piste cyclable de la rue de Rivoli bien aménagée (👍) avec un petit coucou au compteur de la rue de Rivoli (outil essentiel pour donner des éléments factuels et qui serait d’une puissance incroyable s’il savait compter en même temps le passage piéton et motorisé) avant de tourner sur la rue Lobau agréable également sauf à la fin, quand il s’agit de tourner pour rejoindre les quais : le cheminement cycliste est un véritable micmac entre feux voiture et trottoirs (👎). Les Quais étant fermés, nous nous rabattons sur la piste cyclable des quais hauts : placée sur un trottoir suffisamment large et identifié par une couleur différente, elle reste agréable (👍) (même si ça n’a rien à voir avec les quais bas). Les conflits d’usages existent avec les piétons ou un garage un peu plus loin (qui estime trop souvent que le trottoir fait partie de son magasin 👎) mais ils restent contenus.

2. Vers Bastille par le boulevard Henri IV

Après ces beaux aménagements cyclables, le boulevard Henri IV surprend : une simple bande cyclable sur une chaussée très abimée dans un flux important de voitures, scooters et bus (👎). La place de la Bastille possède par contre un aménagement tout neuf, bien séparé du flux à l’intérieur de la place. Un vrai parti-pris qui évite aux cyclistes les multiples feux et un long contournement (👍) ; il nécessite par contre de rejoindre le centre de la place via des doubles feux non coordonnés pour les piétons / cyclistes et donc un passage complexe en deux temps. Quand le flux cycliste est important (c’est-à-dire tout le temps aux heures de pointe), ça devient vite critique dans la fine zone d’attente entre deux feux (👎). Dommage ! Il n’est pas non plus aisé de comprendre comment fonctionne cet aménagement ; le rajout de couleur ou de signalétique pour expliquer aux néophytes par où passer serait un vrai plus.

3. Vers Etienne Marcel par le boulevard Beaumarchais et la rue Saint-Gilles

Bis repetita de l’avenue de la République (cf. Vélodacieuse s01e01) avec le boulevard Beaumarchais : une large avenue avec beaucoup de trafic, de larges trottoirs et aucune infrastructure pour les vélos. Et du coup l’impression d’être un maquereau dans un aquarium de requins… Nous devons tourner à gauche pour rejoindre une petite rue du Marais (comme de nombreux touristes et parisiens) et il faut s’avoir s’imposer si on veut passer ; un bras levé ne suffit en général pas et il faut avoir du cran pour prendre l’espace face à des voitures arrivant à pleine vitesse dans cette ligne droite (👎).

Changement de décors dans l’étroite rue Saint-Gilles… enfin étroite surtout pour les piétons qui ont des trottoirs très fins, encore amputés par des potelets anti-voitures alors que lesdites voitures ont deux belles voies : une pour circuler, une pour se garer. Le dépassement d’un vélo est par contre impossible. En tant que cycliste il vaut mieux dans ce cas se mettre au milieu de la chaussée afin d’éviter les ouvertures de portières d’un côté et les tentatives de dépassements dangereux de l’autre. Le trafic est évidemment beaucoup plus faible que sur le boulevard Beaumarchais mais la pression et l’impression de ne pas avoir le droit d’utiliser la route reste cependant là car l’impossibilité de doubler un cycliste dans une rue peut rendre un automobiliste extrêmement nerveux ; nous subissons donc vrombissement de moteurs, pression pour doubler, regards courroucés et insultes de conducteurs que nous rattraperons bien souvent au feu suivant (👎).

4. Direction République par la rue de Turbigo

Quelques mètres sur la piste cyclable de boulevard de Sébastopol (👍) avant de tourner sur la rue de Turbigo, une des plus belles infrastructures cyclables de la capitale. Cette piste à double sens est clairement délimitée, possède des feux pour les cyclistes à chaque intersection et des passages plutôt bien pensés ; elle est également suffisamment large pour permettre un trajet à deux de front (ou se faire doubler par un autre cycliste facilement) et ainsi pour laisser passer les véhicules de secours si nécessaire, créant une réelle autoroute pour les pompiers. C’est très agréable et ça permet une arrivée à République en papotant ! (👍)