Synthèse de l’apéro avec Florence Berthelot

L’avocate du transport routier

Pour ouvrir son nouveau cycle thématique consacré aux « Transports des marchandises », Femmes en Mouvement a accueilli mardi 17 janvier 2023, Florence Berthelot, déléguée générale de la Fédération Nationale des Transports Routiers. Une rencontre très intéressante, grâce aux propos clairs et sans langue de bois de notre invitée.

De la robe noire au transport routier

« Mon père était avocat. Je m’étais jurée de ne pas faire d’études de droit, de ne pas devenir avocate et de ne pas travailler avec mon père et en fait, j’ai fait les trois ! » raconte Florence Berthelot. Elle exerce en tant qu’avocate à la Cour d’Appel de Paris de 1988 à 1997, mais elle ne s’épanouit pas totalement dans ce métier. A la naissance de son deuxième enfant, elle décide de faire une pause et devient femme au foyer, « une idée désastreuse » dit-elle en souriant « car cela ne me correspondait pas du tout ». En 2000, elle décide de reprendre une activité professionnelle, mais ne souhaite plus être avocate. Par hasard, une amie qui quitte son poste de juriste au sein de la Fédération nationale des transports routiers, lui conseille de postuler. Elle est recrutée en tant que Déléguée aux affaires juridiques et réglementaires. « Je découvre alors deux mondes : celui des transports routiers et celui des fédérations. Je me suis prise de passion pour les deux ». D’abord pour celui de la Fédération grâce à un accueil de qualité, à des personnes au franc parler et à des enjeux passionnants. Ensuite pour celui des transports routiers, essentiels à l’économie et à la vie quotidienne des Français. « Le transport routier est un secteur méconnu, mal vu des politiques et du grand public », regrette Florence Berthelot. Le rôle de la FNTR est de porter la voix des transporteurs auprès des décideurs et de proposer des solutions pragmatiques.

En 2011, elle en devient la Déléguée générale adjointe, en charge des dossiers juridiques, sociaux et internationaux. Elle travaille notamment sur les différences importantes entre le droit social français et européen dans ce secteur (alors source de concurrence déloyale) et l’importance du dialogue social et de la négociation de branche, « très formateurs malgré la rudesse de certaines réunions ». En 2016, elle devient la première femme à devenir Déléguée générale de la FNTR depuis sa création en 1933. En parallèle, Florence Berthelot occupe également des fonctions internationales : au sein de l’IRU (International Road Union) entre 2014 et 2018 et du Comité de dialogue social européen sectoriel pour les transports routiers en 2019-2020.

Les dossiers forts de 2023

Florence Berthelot a ensuite évoqué les principaux enjeux de la filière. La transition énergétique arrive en tête. « Mais rien n’est simple et peu d’actions concrètes et efficaces sont mises en œuvre, analyse-t-elle. Il y a beaucoup de réunions de concertation, d’assises, de comités de refondation, etc. mais il vaudrait mieux agir ». Elle se dit favorable à un mix énergétique, mais est consciente que la solution miracle n’existe pas et qu’il est difficile de faire avancer ensemble constructeurs, énergéticiens et clients, notamment pour des raisons financières. « Les camions électriques sont très coûteux pour le moment (3 à 4 fois plus cher qu’un camion classique) et ont une autonomie maximale de 300 kms (versus 1000/1200 km pour les moteurs thermiques). « Nous avions placé un grand espoir dans le GNV (gaz naturel véhicule) mais avec la flambée du prix du gaz, commencée avant la guerre en Ukraine et amplifiée depuis, les camions équipés au GNV restent au garage et malgré nos demandes, ne bénéficient pas de mesures de soutien ». Selon elle, cela risque d’obérer durablement la confiance des acteurs, y compris sur l’électrique. Parmi les autres pistes prometteuses : l’hydrogène et les carburants liquides décarbonés, mais pas disponibles à court terme. De façon plus globale, Florence Berthelot estime que « si la décarbonation des moyens de transport est très importante, il faut aussi décarboner nos modes de vie ». Par exemple, le « tout, tout de suite » développé par le e-commerce lui semble une aberration économique et environnementale. Les retours massifs de colis constituent également une dérive. « Contrairement à ce que peuvent laisser croire certaines plateformes, le transport n’est pas gratuit, il ne faut pas banaliser la livraison ».  Pour elle, les solutions passent donc à la fois par des carburants alternatifs, une optimisation des chargements des camions, une complémentarité plus forte rail/route ou fleuve/route et une responsabilisation des citoyens.

« Même si on développe le fret ferroviaire, le transport fluvial, la cyclologistique, etc., le transport routier restera majoritaire » estime Florence Berthelot, qui rappelle que « chaque francilien génère en moyenne l’équivalent de 25 tonnes de fret par an, soit environ une semi-remorque ». Pour faire passer ses messages, Florence Berthelot écrit chaque semaine un éditorial, qu’elle sait largement lu, notamment par les décideurs politiques. « J’apprécie ce format court, au ton un peu décalé, voire humoristique. Cela permet d’aborder des sujets complexes et polémiques et de dépoussiérer l’image de la fédération ».

Une campagne pour rappeler que tous les produits arrivent d’abord grâce à un camion.

Autre enjeu de taille, celui du recrutement et de l’attractivité du secteur. Les tensions de recrutement existaient déjà avant la crise sanitaire mais se sont accentuées depuis. La pénurie de conducteurs et de conductrices est critique. La FNTR a lancé en 2020 une campagne de communication « Si vous l’avez, c’est qu’un camion vous l’a apporté », pour revaloriser ses métiers et son image auprès du grand public. Depuis, elle la renouvelle régulièrement dans les médias. Pour Florence Berthelot, de multiples facteurs expliquent cette crise du recrutement : des conditions de travail parfois difficiles, des horaires décalés, une mobilité vécue comme une contrainte, sans oublier le poids des familles ou des conjoints qui en général ne voit pas d’un bon œil que leur enfant ou leur femme s’oriente vers ce secteur. « Pourtant le secteur du transport routier offre de belles opportunités de carrière et les gens qui y travaillent parlent souvent d’un métier passion ». Concernant la féminisation du secteur, les choses évoluent mais lentement. « On voit de plus en plus de femmes, que ce soit comme chefs d’entreprise, dans l’exploitation ou comme conductrices, où elles sont d’ailleurs très appréciées, mais cela reste très difficile de les attirer. Pourtant, nous menons de nombreuses actions : sensibilisation dès le collège aux métiers du transport, travail auprès de Pôle Emploi vis-à-vis des personnes en reconversion, etc. »

En ce début d’année 2023, son principal sujet d’inquiétude est le coût de l’énergie et sa crainte d’une crise économique forte. « On assiste à un ralentissement net des volumes transportés, cela pourrait remettre en cause la pérennité de nos entreprises de transport ».

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