Synthèse de l’apéro avec Corinne Luxembourg et Béatrice Barbusse

« Le sport a été pensé, organisé et développé par les hommes et pour les hommes »

Mardi 13 décembre, nous avons clôturé notre trimestre de rencontres consacrées à l’espace public.  Après avoir reçu Edith Maruéjouls, géographe du genre et Annick Billon, sénatrice de la Vendée et auteure d’un rapport sur les mobilités rurales, nous avons accueilli Corinne Luxembourg, géographe et Béatrice Barbusse, sociologue du sport et ancienne sportive de haut niveau.

Corinne Luxembourg est professeure de géographie à l’Université Sorbonne Paris Nord, membre du laboratoire Pléiade. Après s’être intéressée à la géographie industrielle et urbaine, elle travaille depuis une dizaine d’années sur la question du genre. Elle a mené pendant 6 ans une recherche-action sur la place des femmes dans l’espace public à Gennevilliers. De cette recherche, sont parus deux ouvrages aux Editions Le Temps des Cerises, La ville, quel genre ? (2017) et Les sens de la ville (2020). « De façon générale, dans toutes les communes où des études ont été menées, on assiste à une division genrée de l'espace public qui procède de la division traditionnelle des activités sociales entre hommes et femmes ». Les femmes fréquentent souvent l’espace public pour s’occuper de personnes tierces (enfants, personnes à accompagner, etc.), leurs usages sont souvent fractionnés, complexes et circulatoires. Ceux des hommes sont dans l’ensemble plus linéaires, liés principalement à des mobilités qui n’engagent qu’eux-mêmes et leurs propres activités ou sociabilités. Leurs pratiques sont souvent plus statiques. Corinne Luxembourg a également abordé la question des équipements sportifs. Là encore, l’occupation de l’espace public sportif est majoritairement masculine quelle que soit la taille de la commune. Les infrastructures sous forme de terrain de jeu collectif ou bien sous forme d’agrès de musculation, ou autre city stade sont les lieux de la performance physique et de sa mise en scène. Certaines villes (Lyon, Rennes, Paris, Bordeaux, Villiers-le-Bel, Gennevilliers, Rouen, Aubervilliers, etc.) commencent à prendre en compte la question du genre et à poser la question de l’amélioration des équipements sportifs afin qu’ils soient mieux utilisés par les femmes. Cela soulève des questions d’aménagements, de sécurité, de visibilité, etc. Elle a rappelé que s’imposer dans l’espace public pour une femme nécessitait une force mentale certaine, encore plus pour un équipement sportif. « Montrer sa performance pour une femme dans l’espace public constitue un acte politique et militant ».

Selon Corinne Luxembourg, pour faire bouger les lignes, il ne suffit pas de repenser les aménagements publics ou sportifs (respecter le corps des femmes en mettant des toilettes, des bancs, ou leur sécurité en veillant à leur localisation ou à l’éclairage) mais il faut également un accompagnement politique en termes de personnel, de service public, d’éducation populaire, afin de permettre aux jeunes filles et aux femmes d’avoir accès à ces espaces là et de s’y sentir en confiance. « Cela peut passer par des moments de non-mixité. En tout cas, il est évident que tant que les femmes utiliseront moins les équipements sportifs, elles seront moins performantes que les hommes ! ».  

Agrégée de sciences sociales, Béatrice Barbusse est maître de conférences en sociologie du sport à l’Université Paris Est Créteil. Ancienne handballeuse, elle est vice-présidente déléguée de la Fédération française de handball (FFH). En 2016, elle a publié un livre, Du sexisme dans le sport (Anamosa), dont une nouvelle édition enrichie est sortie en février 2022. Elle se présente également comme une « militante associative engagée ». Béatrice Barbusse a rappelé que « le sport avait été conçu, élaboré et pensé pour les hommes » et que les femmes en avaient longtemps été exclues pour des raisons dites « médicales » et morales. « Les femmes ont dû mener de nombreux combats tout au long du 20ème siècle et se battre pour obtenir le droit de faire du sport, de jouer dans des clubs ou encore d’avoir des équipements adaptés ». A titre d’exemple, les femmes n’ont eu officiellement le droit de participer aux Jeux olympiques qu’en 1928 grâce à Alice Milliat. De la même façon, il était très mal vu pour les femmes de courir dans l’espace public. Il a fallu attendre par exemple 1967 pour que l’américaine Kathrine Switzer soit la première femme à courir officiellement le marathon de Boston et cela a créé beaucoup de remous. « Les différentes vagues de mouvements féministes à partir des années 70 qui ont permis de créer des conditions favorables rendant possible des avancées progressives dans le monde sportif, mais il reste encore beaucoup de combats à mener, analyse Béatrice Barbusse. Il suffit de se rappeler que ce n’est que l’année dernière que les les beach handballeuses ont obtenu le droit de ne plus porter de bikini ». Le monde sportif reste très largement dominé par les hommes. Par exemple, il n’y a que 3 femmes à la tête des 36 fédérations olympiques. « La place des femmes dans le sport reste marginale. Dans toutes les fonctions (arbitrage, journalisme, etc.), il y a toujours moins de 20% de femmes » a souligné Béatrice Barbusse. Autre exemple : les femmes représentent 3% des photos de Une du journal L’Equipe (versus 2% il y a 10 ans…). La France accuse un net retard par rapport à d’autres pays européens. « Il y a une mentalité très rétrograde en France sur la place des femmes dans le sport. C’est toute une culture sportive à développer ».

Pour faire avancer la cause des femmes dans le sport, il faut une vraie volonté politique, des moyens financiers - aux clubs notamment pour les professionnaliser et rehausser le niveau du sport féminin, et beaucoup d’éducation. « Ce sont tous les stéréotypes de genre et le sexisme qu’il faut combattre, dès le plus jeune âge, comme l’explique très bien Edith Maruéjouls que vous avez reçue » estime la sociologue. Par exemple, le sport associé au bien-être et à la santé s’adresse aux femmes tandis que le sport pour la compétition est réservé aux hommes. « Comme si les femmes n’aimaient pas les défis, les challenges et le dépassement de soi… ». C’est tout l’environnement social qui est à revoir et qui fait obstacle à ce que les femmes puissent investir l’espace public ou le sport.

La question de la non-mixité dans le sport a également été abordée. A l’exception de la voile et de l’équitation, très rares sont les activités sportives ou les épreuves où il existe des équipes mixtes. « Et même quand les femmes et les hommes concourent ensemble, comme dans les trails, il existe des classements séparés. Il est hors de question qu’une femme puisse dépasser un homme » souligne ironiquement Béatrice Barbusse.

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