Synthèse de l’apéro avec Muriel Sola-Ribeiro
Muriel Sola-Ribeiro, au centre de la photo à droite de notre présidente Patricia Bastard
« Je transporte des morceaux de vie »
Mardi 14 octobre, l’antenne parisienne de Femmes en Mouvement lançait son cycle consacré aux femmes de terrain qui transforment le quotidien des mobilités. Pour cette première rencontre, nous avons eu le plaisir d’accueillir Muriel Sola-Ribeiro, 49 ans, conductrice de bus chez Keolis Bordeaux Métropole Mobilités. Une femme au parcours atypique, volontaire et passionnée par son métier.
Avant de prendre le volant, Muriel a eu plusieurs vies. « J’ai d’abord été professeure d’arts plastiques dans des collèges bordelais, puis animatrice socio-culturelle », raconte-t-elle. Elle s’engage ensuite dans le monde associatif comme directrice d’une structure dédiée au vélo, où elle crée une vélo-école destinée à des femmes d’origine étrangère. « C’était passionnant, mais au bout de quelques années, j’avais l’impression de passer plus de temps sur des dossiers de financement que sur le terrain. J’ai eu envie de faire autre chose, de revenir à quelque chose de plus relationnel ».
Après une pause bébé, Muriel cherche un nouveau travail. « Je me suis réinventée plusieurs fois, mais je l’ai toujours vécu comme des évolutions, jamais comme des deuils » analyse-t-elle. Lors d’un forum sur les mobilités, elle échange avec une femme qui lui suggère de devenir conductrice de bus. « Je lui ai répondu en riant : “Je n’ai même pas de voiture ! Je circule à vélo !” » Mais l’idée s’installe et Muriel décide de tenter l’aventure.
Après avoir réussi les tests psychotechniques, elle suit une formation de trois mois à l’AFPA. « Nous étions trois femmes sur douze, il fallait s’imposer » se souvient-elle. Elle évoque la fierté d’avoir décroché son titre professionnel. « Oui, c’est possible de devenir conductrice de bus à plus de 40 ans », dit-elle en souriant.
De ces expériences, elle retient trois leçons : se faire confiance, anticiper (« c’est essentiel dans la conduite comme dans la vie ») et croire à la plasticité du cerveau. « C’est un métier qui demande d’être en éveil permanent. Il n’y a jamais deux journées identiques ».
Trouver sa place dans un univers encore très masculin
Les premières années, Muriel est « volante », c’est-à-dire qu’elle peut être envoyée sur une dizaine de lignes de bus différentes. « C’est très formateur. On apprend à s’adapter, à observer, à comprendre de nouveaux environnements ». Puis, avec deux enfants encore jeunes, elle choisit de se stabiliser et demande à être « classée » sur une ligne fixe. Après deux ans sur une longue ligne qu’elle juge un peu monotone et pas assez fréquentée à son goût, elle passe sur la ligne 15, technique, très urbaine et animée. « Tout ce que j’aime », dit-elle en souriant !
Dans un univers encore très masculin (80 % d’hommes parmi les 1 918 conducteurs de Keolis Bordeaux), Muriel a su trouver sa place. « Le premier frein pour les femmes, ce sont souvent les enfants. C’est vrai qu’il faut être très organisée. Je suis fille de militaire, cela m’a sans doute aidée ! Et puis lorsque je suis devenue conductrice, j’ai embarqué tout le monde dans l’aventure : mon mari, les grands-parents, les dames de la crèche… » se souvient-elle.
Les conditions de travail lui conviennent, mais elle sait qu’il faut savoir s’affirmer. « Quand on arrive en salle de repos, par exemple, il faut oser s’installer, se présenter. Ce n’est pas toujours évident, mais c’est important de se faire respecter ».
Les situations difficiles font partie du métier : incivilités, réclamations injustes, situations d’urgence, etc. Muriel garde le recul nécessaire : « Il ne faut pas le prendre pour soi. Ce n’est pas à nous qu’on s’en prend, mais à ce que représente notre uniforme ». Elle a bénéficié d’une formation à la communication non violente et non verbale, très utile. « L’attitude, le regard, la posture, les paroles, tout compte ». Ce qui la touche davantage, c’est quand un usager fait une réclamation sans bonne raison : « On doit se justifier auprès de nos chefs, c’est désagréable et infantilisant. Je fais mon métier avec sérieux et sécurité, alors ça fait mal d’être mise en cause. »
Raconter pour donner du sens
Pour prendre du recul et garder une trace de son quotidien de conductrice, Muriel écrit, au départ sur Facebook pour ses proches, puis sur un blog devenu public. « Mon chef m’a dit : on adore tes histoires, il faut que tu continues ! ». Elle note tout dans un carnet, puis raconte avec humour et tendresse les anecdotes de son quotidien : un mot d’enfant, une passagère émue, une situation cocasse ou difficile qu’elle a réussi à désamorcer. « Ça m’aide à cultiver ce recul. ». Elle évoque avec émotion cette femme qu’elle transporte chaque jour vers l’Ehpad où vit son mari. « Je transporte des morceaux de vie » résume-t-elle
Muriel voit dans son métier un levier d’émancipation, notamment financière, pour les femmes : « « Si on est bien organisée et bien entourée, c’est tout à fait faisable. ».
Elle salue le dispositif Angela, mis en place pour permettre aux femmes en danger de demander de l’aide auprès du personnel des transports. « C’est un très bon dispositif, mais il faudrait qu’il soit davantage connu. Certaines jeunes filles hésitent à venir nous parler, alors qu’on est formées pour ça. »
Fière de son uniforme et de son badge, Muriel aimerait un jour participer à l’amélioration continue des réseaux de transport, en apportant son regard et ses compétences à la fois de conductrice et d’usagère. « Par exemple, les vélos dans les voies de bus… quelle mauvaise idée ! J’aimerais contribuer à ce genre de réflexion dans la conception des aménagements ». En tout cas, toujours dans le secteur de la mobilité, qu’elle aime pour son côté à la fois technique et humain.
Retrouvez Muriel sur LinkedIn et sur son blog, Breves-de-talanquere. La “talanquère”, c’est cette petite barrière qui sépare le conducteur des passagers, mais qui n’empêche pas le lien !