Table ronde “Sécurité des femmes dans les transports : une gouvernance à renforcer”
Table ronde TALAN x Femmes en Mouvement, 3 juin 2025
Sécurité des femmes dans les transports : une gouvernance à renforcer
Lors de la table ronde organisée par Talan consulting x Femmes en Mouvement le 3 juin dernier, cinq intervenantes et intervenants ont partagé leurs expériences et réflexions autour de la sécurité des femmes dans les transports publics. Animée par Blandine de Leiris, Directrice Transports et Mobilité chez Talan Consulting, cette discussion a mis en lumière l'ampleur du phénomène des violences sexistes et sexuelles dans les transports et la nécessité d'une approche systémique et inclusive pour y remédier.
Le constat de départ, exposé par Blandine de Leiris, est sans équivoque : 91 % des victimes de violences ou de harcèlement dans les transports sont des femmes, dont 75 % ont moins de 30 ans. En 10 ans, le nombre de victimes a augmenté de 86%. Et pourtant, seules 7 % déposent plainte. Ces chiffres traduisent un phénomène alarmant et rappellent la nécessité d’actions coordonnées, au-delà des seuls dispositifs techniques.
Pour Blandine de Leiris, la réponse doit passer par une gouvernance plus ambitieuse, inclusive et transversale. « C’est une question de justice, d’égalité et de dignité collective », a-t-elle affirmé en introduction.
Comprendre les mécanismes pour mieux agir
Alain Denis, Directeur de Yellow Window Belgique et membre du projet européen ACCTING, a défendu une approche systémique, inspirée d’un modèle mis au point au départ par les Nations Unies pour aborder des phénomènes complexes et culturels comme les violences domestiques. Le modèle des 7P inclut notamment la prévalence des faits, la protection des victimes, la poursuite des agresseurs, mais aussi la politique publique (policy) en tant que levier de transformation. Il insiste sur l’importance de la formalisation des engagements dans les documents de gouvernance, pour éviter que les responsabilités se diluent entre les nombreux acteurs du transport.
Le projet ACCTING, une recherche européenne, explore comment le « Green Deal » peut être plus inclusif, notamment en matière de mobilité, en reconnaissant les inégalités existantes dans les transports publics.
Des initiatives à faire connaître
Christelle Rousseau, chargée de mission Lutte contre le harcèlement dans les transports à la RATP, a présenté le plan de lutte mis en place depuis mars 2020. Celui-ci s’articule autour de quatre volets : prévention, gestion des alertes, accompagnement des victimes et partenariats. Une étude menée auprès de 1 500 voyageuses a révélé que 70 % des femmes ont déjà été victimes de harcèlement ou d’agressions sexuelles, dont 50 % dans les douze derniers mois. Pour agir, la RATP a déployé 20 marches exploratoires depuis 2020 pour diagnostiquer les lieux et trajets générant un sentiment d’insécurité. L’objectif est d’améliorer la prévisibilité des espaces, l’information voyageur, l’éclairage, et de créer une ambiance plus inclusive. « Les espaces souvent conçus par et pour les hommes doivent évoluer » insiste-t-elle. Des travaux communs avec la SNCF sont en cours, notamment pour transformer des gares comme celle de Nanterre-Université, perçue comme vide et trop grande par les femmes, en des espaces plus accueillants.
Intégrer les usages et les réalités du quotidien
Anouk Exertier, Responsable du service Développement des Services de Mobilités de la Métropole de Lyon, a mis l’accent sur les services plutôt que les seuls aménagements, en s’intéressant aux usages différenciés selon le genre. Par exemple, 60 % des usagers des pistes cyclables sont des hommes, versus 40% de femmes. Cette inégalité s’explique par un certain nombre de réticences (sentiment d’insécurité, d’incompétence, manque de confiance). En réponse, la métropole a mis en place des vélo-écoles, fréquentées à 84 % par des femmes. Les usages genrés se manifestent également par des trajets plus courts et « chaînés » pour les femmes, souvent avec des charges. Pour y remédier, des aides à l'achat de vélos cargos sont mises en place. La métropole de Lyon travaille également sur une plus grande utilisation de l’autopartage et du covoiturage par les femmes, avec des actions de communication et de marketing ciblées.
L’importance de la perception de l’espace
Raphaël Adamczak, doctorant en psychologie sociale (Lab SNCF Impact), a insisté sur l’écart de perception entre les hommes et les femmes dans l’espace public. Les femmes expérimentent différemment les espaces de transports que les hommes et y ressentent des émotions plus négatives. Une des causes de ces différences est le sentiment de vulnérabilité plus élevé rapporté par les femmes et largement documenté depuis les années 60. Cette vulnérabilité est liée au harcèlement mais aussi à la conception même des espaces développés dans une volonté de correspondre avant tout aux besoins de la population masculine. Il plaide pour une recherche-action participative, impliquant les voyageuses dès les premières étapes des projets. « Travailler à une gouvernance partagée, c’est reconnaître que l’inaction résulte souvent de l’éclatement des responsabilités ».
Sandra Bernard, Responsable Sécurité chez Sytral Mobilités (Lyon), a présenté les dispositifs développés sur son territoire : marches exploratoires dès 2015 afin d’établir des diagnostics et des préconisations, descente à la demande à partir de 22h sur toutes les lignes de bus, sensibilisation dans les collèges à la lutte contre le harcèlement sexiste dans les transports, formation de 100 % des agents de terrain à l’accompagnement des victimes, outils de signalement, partenariat avec l’application UMAY avec la mise en place de 5 lieux refuges et 1 000 bus refuges que l’on retrouve sur l’application pour savoir où ils se trouvent via la géolocalisation des véhicules. Tous ces dispositifs sont régulièrement évalués. La perception du sentiment d’insécurité augmente en s’éloignant du centre-ville, en particulier après 19h. Elle insiste sur la nécessité d’associer collectivités, experts et opérateurs pour agir de manière cohérente sur les aménagements.
Un chantier collectif
La discussion a également mis en lumière les freins majeurs à une gouvernance efficace et inclusive. Alain Denis a pointé du doigt le problème des « silos », c'est-à-dire le manque de communication et de collaboration entre les différents acteurs. Pour lui, briser ces silos et travailler ensemble est essentiel, nécessitant à la fois une approche bottom-up et un leadership fort. Raphaël Adamczak a renchéri sur les silos disciplinaires et opérationnels, insistant sur le fait que la vulnérabilité des femmes est le symptôme d'inégalités de genre systémiques véhiculées dans tous les espaces publics. Il a appelé à repenser les espaces différemment et à sortir d'une vision purement sécuritaire.
Christelle Rousseau a rappelé que le problème des transports collectifs s'inscrit dans un problème sociétal plus large, y compris dans la sphère privée. Elle a également évoqué les contraintes financières et l’absence de ligne budgétaire dédiée pour ces actions. Cependant, la libération de la parole est une bonne nouvelle, avec une augmentation de 25% par an des signalisations via le 3117, et une augmentation des dépôts de plainte et des témoignages.
Anouk Exertier a évoqué le manque de légitimité parfois accordée à ce sujet. « Souvent, ces initiatives reposent sur la bonne volonté de quelques personnes, mais cela ne suffit pas ; il faut que la thématique soit portée au plus haut niveau politique et financier, ce qui amène à la place des femmes aux postes de décision ». Le fait que la prise en compte de l'insécurité des femmes dans les transports n'ait que dix ans, et que les faits à caractère sexuel n'étaient pas enregistrés auparavant, souligne une petite révolution culturelle à mener dans l'aménagement de l'espace public. Il a été souligné que les solutions numériques ne devaient pas remplacer la présence humaine sur le terrain.
Responsabilité partagée
Une question majeure est de savoir comment intégrer ces problématiques dans les cahiers des charges de conception des transports. Christelle Rousseau a suggéré de s’accrocher aux projets existants, notamment à ceux impliquant des études amont qui peuvent être menées avec des ateliers. Cependant, il est vrai que de très nombreux acteurs ont du mal à transformer cette problématique en indicateurs chiffrés, qui pourraient venir faire la différence sur des calculs d’impact et/ou de retours sur investissement. Comme pour de nombreux sujets touchant au genre, cela reste sous-évalué dans les projets de maîtrise d'œuvre et d’ouvrage.
Tous les intervenants s’accordent sur un point : la question de la sécurité des femmes ne pourra être traitée efficacement que si elle devient une responsabilité partagée. L'ensemble des acteurs – opérateurs de transport, collectivités, urbanistes, entreprises et institutions – doit se saisir collectivement de ce sujet. Il est essentiel de faire dialoguer les disciplines, de former les professionnels, et de mobiliser les instances de décision dès les phases amont des projets.
Les marches exploratoires, les diagnostics de terrain et les expérimentations participatives sont autant de leviers concrets pour acculturer les équipes techniques, intégrer les besoins spécifiques, et concevoir des espaces plus équitables pour toutes et tous.
À RETENIR
1) 91 % des victimes dans les transports sont des femmes, majoritairement jeunes. Seulement 7 % déposent plainte.
2) La perception des espaces diffère selon le genre : repenser l’aménagement et les usages est fondamental.
3) La sécurité des femmes nécessite une approche ambitieuse, inclusive et transversale, brisant les « silos » entre les multiples acteurs.
4) Au-delà des solutions techniques, le sujet de la sécurité des femmes se heurte à des contraintes budgétaires, un manque de légitimité au plus haut niveau et une "révolution culturelle" nécessaire.