Synthèse de l’apéro avec Isabelle Le Saux
Isabelle Le Saux, à gauche de notre présidente, Patricia Bastard
Isabelle Le Saux, directrice design SNCF Voyageurs, était l'invitée de Femmes en Mouvement le 13 mai 2025 à Paris, chez iQo, pour partager son expérience dans le cadre du cycle thématique « conception des espaces de mobilité ». Retour sur les points clés de son intervention.
Diplômée de l’école Boulle, Isabelle Le Saux a intégré la SNCF dans un environnement historiquement dominé par les ingénieurs, avec peu de femmes dans les métiers de conception. « Il y a dix ans, le design se résumait pour beaucoup à choisir les couleurs », se souvient-elle, évoquant les stéréotypes tenaces et les résistances rencontrées en tant que femme dans des milieux techniques. Pourtant, elle a su s’imposer et faire évoluer les mentalités, en apportant une vision élargie de la conception des espaces.
Pour elle, une mixité réelle dans les équipes de conception - de genre, de profils, de points de vue - est indispensable pour créer une mobilité vraiment inclusive. C’est cette diversité qui permet d’aboutir à des projets riches, sensibles et adaptés aux besoins variés des usagers, qu’ils soient jeunes, âgés, avec ou sans handicap. Elle cite l’évolution du groupe AREP, aujourd’hui composé à plus de 50% de femmes, comme un signe encourageant.
Elle illustre cette évolution à travers trois exemples concrets :
La transformation des nurseries dans les gares, où il a fallu batailler contre les stéréotypes pour faire évoluer leur emplacement et leur pictogramme, traditionnellement associés aux femmes.
Les marches exploratoires dans les gares d'Île-de-France, qui ont permis de répondre concrètement aux enjeux de sécurité, par exemple par le sur-éclairage des abris situés au niveau de la première voiture pendant les heures creuses.
La rénovation des espaces d'attente dans les gares, repensés pour tous et aussi pour les personnes vulnérables (personnes handicapées, âgées, familles avec enfants). Ces espaces, autrefois souvent relégués, ont été replacés "au cœur de l'activité" avec un choix de posture, une attention particulière portée à la diversité des usages, à l'éclairage, aux courants d'air...
Sa vision consiste à concevoir les trains comme « des salons roulants » où l'on peut lire, rêver, dormir ou travailler. Pour elle, l'intérieur d'un train, malgré ses fortes contraintes techniques et normatives, doit être pensé comme un véritable lieu de vie et de socialisation, où la prouesse technique, les contraintes industrielles ne doivent pas prendre le pas sur le côté « lieu de vie ».
L'émergence d'une culture du design au sein d'un groupe industriel
Arrivée il y a deux ans et demi comme directrice du design au sein de SNCF Voyageurs, Isabelle Le Saux a créé son poste, malgré la riche histoire du design à la SNCF. Elle mène depuis un travail de fond pour faire reconnaître le design comme un levier stratégique à part entière, au même titre que le marketing ou l’ingénierie. Cela passe notamment par la création d’un Design Center, un outil de partage, de capitalisation des expériences, des méthodes et des projets. Son objectif : diffuser une culture du design à l’échelle de l’entreprise afin d’accroître la conscience collective autour des enjeux du design, des usages et de diversité.
Ce travail est aussi pédagogique. Il s’agit de déconstruire les a priori sur le design, parfois considéré comme cher, accessoire ou décoratif, et de montrer qu’il peut être sobre, familier et fonctionnel. Il n’y a pas de « bonne réponse » a priori : un bon design peut surprendre ou rassurer, être original ou au contraire très classique. L’essentiel est de savoir poser les bonnes questions, à partir des besoins concrets des usagers.
Dans cette logique, la rédaction des cahiers des charges évolue. Plutôt que de figer les solutions trop tôt, elle plaide pour des processus itératifs, plus souples, permettant de construire un projet qui tient compte des différents prismes. C’est d’autant plus nécessaire que les projets ferroviaires s’inscrivent dans le temps long. Elle reconnaît que la question du retour sur investissement (ROI) du design reste difficile à quantifier. Mais les études clients et les observations de terrain montrent clairement l’impact positif d’un design bien pensé.
Les enjeux environnementaux renforcent encore cette nécessité de repenser la conception. Elle cite, par exemple, la nécessité d’intégrer les notions de réparation et d’évolution dans la conception avec ce que cela implique sur la réinvention d’une esthétique des liaisons. Cela suppose également d’intégrer des matériaux issus du recyclage, parfois plus aléatoires, et de revoir les standards de qualité ou d’usure : un changement culturel profond pour les entreprises industrielles.
Ce qu’Isabelle Le Saux défend, c’est un « design de la douceur » : des espaces publics paisibles, inclusifs, qui créent un imaginaire commun et appropriable par tous. Elle œuvre à un design juste, respectueux, durable, à l’image de la mobilité de demain.