Synthèse de l’apéro avec Audrey Hippert et Danielle Mennechet
Danielle Mennechet et Audrey Hippert, au premier plan
Femmes de terrain
Pour clore son cycle sur les femmes de l’opérationnel, l’antenne parisienne de Femmes en Mouvement a réuni deux professionnelles passionnées par leurs métiers : Audrey Hippert, directrice de l’exploitation de Tisséo Voyageurs, et Danielle Mennechet, conseillère relations clients au sein de SNCF Voyageurs. Toutes deux ont partagé un parcours façonné par l’engagement, l’expérience de terrain et le goût d’être utile aux usagères et aux usagers.
Audrey Hippert a commencé sa carrière dans le BTP avant d’intégrer le secteur des transports, où elle a construit l’essentiel de son parcours. Pendant quinze ans à la SNCF, elle découvre les atouts des grands groupes : la richesse des métiers, la diversité des parcours et les possibilités d’évolution. Elle rejoint ensuite Keolis à Lyon, puis en 2021, la direction régionale de Saur à Toulouse. Quand Tisséo l’appelle pour diriger l’exploitation du réseau de l’agglomération de Toulouse, sa « ville de cœur », elle accepte sans hésiter. Le projet est stimulant : un réseau multimodal en pleine transformation, une future ligne de métro prévue pour 2028, une ligne de tramway supplémentaire, des flottes de bus électriques...
Le service public au quotidien
Audrey souligne aussi l’engagement très fort de Tisséo en matière d’accessibilité et de sécurité, avec des investissements importants en direction des publics fragiles. La régie toulousaine est reconnue pour son engagement contre les violences sexistes et sexuelles, grâce à des campagnes régulières, des dispositifs comme Angela et un dialogue constant avec les associations d’usagers. Elle observe en 2025 une diminution des signalements, signe, selon elle, d’une prise de conscience durable et de l’efficacité des actions menées conjointement avec les forces de l’ordre.
Mais sa mission s’inscrit aussi dans un contexte plus exigeant : les voyageurs tolèrent beaucoup moins l’imprévu ou les retards, notamment sur un service public régulier qui se doit fiable. Les réseaux sociaux amplifient les attentes, et il arrive que le public dispose d’informations avant les équipes, pas toujours complètes ni exactes. Cette exigence accrue s’accompagne parfois d’une forme d’impatience, voire d’agressivité.
Diriger l’exploitation chez Tisséo, c’est aussi évoluer dans une structure qui n’a ni la puissance ni les processus très normés d’un grand groupe. « Tisséo reste une entreprise artisanale, dans le bon sens du terme : pragmatique, empirique, attachée à ses savoir-faire » explique-t-elle. Première femme directrice d’exploitation, elle essaye d’apporter davantage de rigueur et de structuration, tout en apprenant beaucoup elle-même auprès de ses équipes. Audrey a d’ailleurs souvent été pionnière : seule femme au comité de direction de Keolis à Lyon, seule femme sur certains sites SNCF au Havre, sans en faire un sujet. Pour elle, l’essentiel repose sur l’engagement, le sens du service, le professionnalisme. « Quand ces valeurs sont partagées, la reconnaissance suit, peu importe qu’on soit une femme ou un homme » estime-t-elle.
L’humain comme fil conducteur
Danielle Mennechet, de son côté, offre un témoignage très humain sur la relation client, vécue au quotidien depuis plusieurs décennies. D’un optimisme sans faille, elle raconte son entrée à la SNCF : elle voulait être contrôleuse, mais les horaires tardifs en banlieue auraient rendu sa tâche plus difficile. Les recruteurs l’ont alors orienté vers la vente en boutique, un univers exigeant où elle découvre la polyvalence, le goût de la vente et la richesse des échanges. Elle a connu les agences Transilien jusqu’à ce qu’elles disparaissent, vendu des séjours complets avec Eurostar, conseillé des voyageurs en anglais et en allemand, accompagné des migrants, géré des ruptures de correspondance stressantes et, formé des générations de collègues, femmes ou hommes. Cette longévité lui a permis de recevoir sa 2ème médaille du travail, marquant 35 années de service. Elle s’est adaptée à toutes les évolutions de la billettique : dès premiers jours à compter les tarifs et remplir les tickets à la main, jusqu’à l’usage des plateformes de réservation numérique. Ce qui lui a le plus plu : apprendre !
Danielle est aussi devenue, au fil des années, une super « testeuse » des dispositifs d’accessibilité : rampes, matériels ferroviaires, applications inclusives telles qu’Acceo… Elle a même contribué aux essais en vue des Jeux paralympiques. Cette expertise, elle la vit de l’intérieur : elle-même en fauteuil roulant, elle n’hésite pas à guider une personne malvoyante jusqu’au quai en lui faisant tenir la poignée de son fauteuil, régulant la vitesse comme un geste naturel. « J’aime aller au-delà de ce qu’on me demande », explique-t-elle, en toute humilité.
Danielle souligne cependant que la parole des femmes peut parfois être moins entendue que celle d’un homme, notamment dans des situations tendues avec certains clients. Mais son métier lui donne aussi de nombreux moments d’émotions, quand des clients se confient à elle sur leur parcours ou lui font part de leur admiration pour son dévouement. Elle continue à croire profondément au sens du service public, à l’importance des contacts humains. Elle rappelle aussi l’importance de la coordination entre les équipes TER et TGV qui, dans les moments clés, comme les Jeux olympiques et paralympiques, se parlent, s’organisent et s’allient au service des voyageurs. « J’aime créer du lien grâce aux langues, aux applis de traduction ou simplement grâce à de petits gestes d’attention » résume-t-elle.
Créer du lien
Toutes deux reconnaissent la difficulté d’attirer de nouveaux talents dans les métiers de l’exploitation ou de la relation client. Horaires décalés, pression opérationnelle, agressivité parfois croissante des voyageurs… Mais elles rappellent aussi ce qui fait la beauté et la satisfaction de leurs métiers : être au cœur de la ville et de la vie des gens, se sentir utile, participer à la mobilité quotidienne de milliers de personnes. « La technique s’apprend, dit Audrey. Ce qui compte d’abord, c’est d’aimer rendre service. » Danielle acquiesce : c’est l’humain, toujours, qui fait le lien.
Enfin, toutes deux se rejoignent sur la question des équipes mixtes. Ni l’une ni l’autre ne défend une féminisation en soi, mais plutôt une diversité des parcours, des profils, des compétences. Audrey raconte ainsi avoir recruté une RH pour piloter un centre opérationnel, un pari qui s’est révélé gagnant. Pour elle, les duos complémentaires, mêlant expertise technique et qualités managériales, ouvrent la voie à des équipes pluridisciplinaires performantes. Et elle n’oublie pas de rappeler que ce sont souvent des managers masculins qui ont cru en elle et l’ont poussée vers des postes auxquels elle n’aurait jamais pensé postuler.
Entre les témoignages d’Audrey et de Danielle se dessine un même fil rouge, le service au public, et une même conviction : les transports constituent un secteur exigeant mais aussi profondément humain, riche de sens, et même l’IA ne pourra jamais totalement remplacer cette relation clientèle. À les entendre, on comprend ce qui les lie : humilité, optimisme et altruisme.